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Jeannette Regan

Un prix juste en mettant de la couleur à l'argent

La question d’un prix juste, particulièrement en ce qui concerne l’alimentation, me préoccupe depuis longtemps. J'entends régulièrement des gens dire qu'ils n'ont pas les moyens d'acheter bio ou local et je ne sais pas comment répondre afin qu’iels puissent élargissent la situation et réexaminer leur situation. Marc Desaules donne plusieurs éléments de réponse dans son article ci-dessous, qu'il m'a donné la permission de reproduire. Il est un des fondateurs de L'Aubier, un projet écologique autour d’une ferme bio-dynamique, un magasin, une fromagerie, un hôtel et un restaurant, un éco-quartier et une formation à Montezillon/NE lancé déjà en 1979. Marc Desaules a dû chercher un financement pour réaliser le projet et au fil des ans, l'équipe de L'Aubier a créé de nouvelles manières de chercher un financement éthiquement et socialement juste.


Mettre de la couleur à l’argent

(initialement publié dans Nouvelles de L’Aubier en décembre 2022)


L’argent peut devenir le vecteur d’une transformation sociale immédiate et en profondeur. Rien besoin d’autre pour cela que de commencer, chacune et chacun, là où nous sommes. Alors ce qui prendrait des années, voire des générations, à changer par une réorganisation de nos institutions peut voir le jour demain déjà. Il suffit de le vouloir – nous l’avons déjà évoqué dans nos dernières Nouvelles.


Au lieu d’avoir de l’argent sur un compte, nous pouvons lui rendre vie et prêter des ailes à une foultitude d’initiatives naissantes qui n’attendent que ça pour s’élancer face aux problèmes grandissants qui menacent de nous submerger. Agir ainsi, c’est changer fondamentalement notre relation à l’argent. C’est en prendre nous-mêmes la responsabilité, chacune et chacun, là où nous sommes. Et cela va changer le paysage.



Nous avons vu précédemment que prêter commence là où nous faisons nous-même crédit à une personne. Nous donnons alors de l’élan à son initiative et lui permettons de créer l’enveloppe nécessaire à son projet – on parle ici de moyens de production – une maison pour son activité, un toit, que se soit un espace culturel, un ensemble de cabinets médicaux, une ferme agricole. Combien de jeunes par exemple formés en biodynamie cherchent aujourd’hui un domaine agricole, mais ne peuvent l’acquérir faute de financement ? Avec ces prêts directs, nous pouvons réaliser aujourd’hui déjà un aspect essentiel de la tripartition sociale, c’est-à-dire former le terreau de toutes sortes d’initiatives qui sinon ne verraient jamais le jour – une vie culturelle vraiment libre. Cet argent de prêt, si indispensable aux initiatives, nous à L’Aubier lui avons donnée la couleur bleue. Nous parlons d’argent bleu quand nous parlons de cet argent investi en confiance pour de moyens de production.


Mais il y a aussi l’argent rouge. C’est la couleur que nous avons choisie de donner à l’argent qui s’exprime par l’échange, lorsque nous achetons ou vendons des produits et des services: une tout autre qualité d’argent, fondamentalement différente de la précédente. Ce qui est ici déterminant, ce n’est pas l’initiative et la confiance qu’elle suscite, mais c’est le juste prix, le vrai prix, ce prix qui permettra à celles et ceux impliqués dans la production de couvrir tous leurs besoins, jusqu’à ce qu’un même produit ou service soit à nouveau mis en vente. Aujourd’hui, les prix sont faussés de tous côtés. Mais là aussi, chacune et chacun de nous peuvent résister au système injuste dans lequel nous baignons et commencer à assumer sa responsabilité liée à l’argent en payant assez ce que nous achetons. Alors une vague de portance pour subvenir aux besoins des autres sera générée qui nécessairement dans un monde fermé finira un jour par nous revenir. Et que se passe-t-il lorsque nous ne le faisons pas ? Nous spolions celles et ceux qui ont produit pour nous, leur refusons ce qui leur revient du fait de leur engagement par le travail. Ne pas payer assez, c’est comme si, entraînés les uns à côtés des autres dans le courant de la vie, nous voulions garder la tête hors de l’eau en submergeant les autres autour de nous. Avec cet argent rouge, cet argent d’achat, nous pouvons créer chacune et chacun aujourd’hui déjà, et à nouveau jour après jour, une attitude différente qui assure à celles et ceux à qui nous sommes liés par les produits et services que nous consommons, de pouvoir couvrir leurs besoins.


Et comment seront couverts les besoins de celles et ceux qui, à proprement parler, n’ont rien à vendre, par exemple le médecin, l’enseignante, la chercheuse, l’artiste ? Ou comment les besoins de celles et ceux qui ne peuvent pas vendre assez cher leur production, comme c’est le cas un peu partout de l’agriculture ? Nous parlons ici d’argent de don et nous lui avons donné la couleur jaune. C’est l’argent qui change de main sans contrepartie, pour ainsi dire gratuitement, parfois avec des conditions comme l’aide sociale, parfois sous forme de contrainte, comme les impôts, souvent aussi complètement librement. C’est à cet argent jaune revient la tâche de couvrir tous les besoins qui ne sont pas couverts autrement. La plus grande partie est ici encore gérée et contrôlée par l’État. Quel essor formidable pourrait être généré si, ici aussi, chacune et chacun, nous en prenions nous-même la responsabilité en donnant directement là où nous le voulons. Toute la vie culturelle recevrait ainsi l’élan printanier dont notre vie sociale à si soif.


Mettre la couleur à l’argent n’est pas un jeu anodin : cela nous permet de commencer à peindre le monde que nous voulons.





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